La chute de Credit Suisse (CS) n'est pas étonnante. «Après des années de mauvaise gestion, il fallait peu pour déstabiliser l'institution», a rappelé devant les médias le sénateur Matthias Michel (PLR/ZG). La crise existentielle de la deuxième grande banque suisse est à mettre sur le compte du conseil d'administration et de la direction de Credit Suisse.
Ceux-ci ont été réticents aux nombreuses interventions de l'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma), a indiqué la conseillère aux Etats et présidente de la commission d'enquête parlementaire (CEP) Isabelle Chassot (Centre/FR).
La CEP n'a constaté aucun comportement fautif de la part des autorités fédérales. Mais elles ont accumulé des manquements à tous les niveaux, a avancé la Fribourgeoise. La commission estime que certaines décisions ont trop tardé. Il faut impérativement tirer les enseignements de la gestion de la crise.
C'est déjà la deuxième fois que l'Etat doit intervenir pour empêcher la faillite d'une banque d'importance systémique et la Suisse ne compte désormais plus qu'une seule banque d'importance systémique mondiale, rappelle la CEP. De nombreuses interventions ont été déposées.
Décisions retardées
Alors que la Suisse était leader en matière de régulation banquière jusqu'en 2015, après cette date, les instruments ont commencé à manquer, a critiqué le conseiller national Thomas Matter (UDC/ZH).
Le Conseil fédéral et le Parlement ont accordé trop d'importance aux exigences des établissements bancaires systémiques dans le cadre de la réglementation too big to fail (TBTF). Des délais ont été prolongés et des adaptations aux normes internationales retardées.
Le Conseil fédéral s'est montré trop hésitant, notamment dans l'introduction d'un mécanisme public de garantie des liquidités. Alors que la Finma et la BNS exigeait la mise en place de ce système dès 2018, le Conseil fédéral n'a défini les jalons qu'en 2022 et a dû agir via droit de nécessité pendant la crise, a rappelé M. Matter.
Avertissements sans effets
Par ailleurs, la surveillance de la Finma n'a eu qu'un effet limité. Credit Suisse a enchaîné les scandales, malgré les avertissements.
La commission regrette qu'à l'époque, l'autorité de surveillance n'ait pas prononcé de retrait de l'attestation d'activité irréprochable. Elle a même accordé de vastes allègements, qui se sont répercutés sur les fonds propres.
"Le filtre régulatoire accordé a caché la situation financière réelle de la banque", a souligné la conseiller national Thomas Matter (UDC/ZH). Sans ce filtre, le CS n'aurait plus rempli les dispositions sur les fonds propres dès 2021 déjà.
La Finma a toutefois intensifié sa surveillance de la banque dès l'été 2022 et fait pression pour qu'elle améliore ses mesures d'urgence. Un plan d'assainissement a été élaboré dès octobre, suite aux sorties massives de capitaux.
Le député Roger Nordmann (PS/VD) a averti de ne pas concentrer les reproches sur la Finma. «Elle a été active de manière quasi ininterrompue et devait également faire avec le cadre décidé par le Parlement.»
La Banque nationale suisse (BNS) a également constaté la situation délicate de Credit Suisse. Mais elle n'a pas pu imposer des mesures préparatoires. Elle a cependant renforcé les préparatifs nécessaires à une aide extraordinaire.
Manque d'informations
La situation de Credit Suisse a été peu abordée dans les discussions entre la Finma, l'Autorité fédérale de surveillance en matière de révision (ASR), la BNS et le Conseil fédéral. Par conséquent, toutes les autorités impliquées n'avaient pas le même niveau d'information, critique la CEP.
Les premières informations sommaires sont parvenues au Conseil fédéral dès août 2022. L'ancien chef du Département fédéral des finances (DFF), Ueli Maurer, a tardé à informer le gouvernement de la situation critique de la banque, a indiqué le député Roger Nordmann (PS/VD). Ces informations n'ont par ailleurs été données que par oral. M. Maurer a justifié sa position par la crainte de fuites.
Par ailleurs, a encore dit le Vaudois, le changement de responsabilité au sein du département n'a pas bien fonctionné. La présidente de la CEP a toutefois rappelé que ce n'était pas à la commission de nommer des responsables.
Travail préliminaire essentiel
Dans son rapport, la CEP salue toutefois le travail préliminaire d'analyse des différents scénarios de sortie de crise. La Finma a notamment poussé Credit Suisse en décembre à se préparer à une vente en urgence début janvier, notamment à UBS.
Même si les autorités fédérales ont été surprises par la crise bancaire aux Etats-Unis, elles avaient une option réaliste à disposition lors de la phase aiguë de la crise en mars. Regroupées en cellule de crise au Bernerhof, elles ont été en mesure de maintenir la solvabilité de Credit Suisse durant les quelques jours entre le 15 mars et la reprise par UBS le 19 mars, évitant ainsi une crise financière mondiale.
Au moment où le scénario d'une fusion avec UBS s'est imposé, les positions des deux banques dans les négociations étaient très éloignées l'une de l'autre. Les autorités ont joué à ce moment un rôle très important de médiateurs et «remplacé dans une certaine mesure le dialogue direct» entre les deux établissements bancaires, a relevé la vice-présidente de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) Franziska Ryser (Vert-e-s/SG).
Les négociations entre Credit Suisse et UBS étant incertaines, les autorités ont donc continué en mars à travailler sur différentes options, à savoir un assainissement, une faillite, une reprise à court terme par l'Etat ou, en dernier recours, une fusion forcée avec UBS.
Les autorités ont veillé à un équilibre des intérêts, mais aussi aux conséquences financières pour la Confédération. En raison du délai disponible à l'époque, le scénario choisi par le Conseil fédéral était le plus important, a conclu la CEP. Une reprise par un concurrent étranger aurait été une option «préférée» à moyen terme, pour éviter de se retrouver avec une seule grande banque en Suisse. Mais cette option a dû être écartée faute de temps. (awp/hzi/ps)