Dans les comparaisons internationales en matière de prévoyance vieillesse, la Suisse ne cesse de reculer pour cause d’absence de réformes. La réforme AVS 21 et les propositions élaborées par les partenaires sociaux pour réaménager la prévoyance professionnelle promettent-elles une amélioration?
Il se peut parfaitement que nous perdions quelques rangs dans ces classements. Reste que de telles comparaisons sont en partie sujettes à caution parce qu’elles mélangent des éléments différents de la prévoyance et les sortent de leur contexte. Les propositions de réforme actuelles vont dans la bonne direction. La réduction de 6,8 à 6,0% du taux de conversion dans la partie obligatoire du 2e pilier est une urgence absolue. Le taux de conversion actuel exige un rendement moyen du capital de 5%, qui n’est envisageable qu’à l’aide de placements risqués. Même avec un taux de conversion plus bas, il faut quand même un rendement de 3,5 à 4%, soit nettement supérieur à un taux dénué de risque. Une déduction de coordination plus basse a également du sens. Pourtant, le seuil d’entrée dans le 2e pilier demeure élevé. L’approche comportant, pour les travailleurs plus âgés, des pourcentages de salaire moins progressifs devrait également motiver les employeurs en faveur de cette catégorie d’âge. Mais le vrai problème, ce sont les primes de risque. Pour les entreprises avec une structure d’âge défavorable, il devient de plus en plus difficile de dénicher des assureurs ou des fondations collectives qui veulent bien les accepter.
EXPERT FINANCIER
Heinz Zimmermann, 63 ans, enseigne la théorie des marchés financiers à l’Université de Bâle. Il était auparavant professeur d’économie et de finance à l’Université de Saint-Gall et y dirigeait l’Institut suisse de banque et finance. Il a achevé ses études d’économie aux Universités de Berne et Rochester (USA). Heinz Zimmermann a cofondé diverses entreprises, dont PPmetrics, et il siège dans plusieurs conseils d’administration.
Toutes les approches de réforme des 1er et 2e piliers ont échoué dans un passé récent. Les solutions globales, en particulier, ont été rejetées par le peuple. Des réformes séparées et par étapes ont-elles plus de chances?
Oui, je pense qu’on a de meilleures chances en séparant les sujets, car la complexité diminue alors un peu. Par définition, il serait juste, à vrai dire, de regrouper de telles décisions car, au bout du compte, le but des deux institutions de prévoyance est de maintenir le niveau de vie habituel lors de la retraite. Du point de vue politique, les perspectives de la solution choisie sont un peu meilleures. Or c’est absolument nécessaire pour améliorer la situation insatisfaisante actuelle.
Comment caractériseriez-vous l’état de santé du système suisse de prévoyance?
Il est hasardeux de faire une comparaison avec un diagnostic médical. Mais disons que le patient a besoin de quelques ablations ou transplantations d’organes. Un regard rétrospectif est utile. Dans les années 1970 et 1980, nombre d’entreprises possédaient déjà une institution de prévoyance. Avec la contrainte de la LPP en 1985, elle est devenue obligatoire. Ceux qui entamaient alors une carrière professionnelle abordent aujourd’hui la retraite. Par conséquent, nous en sommes encore à la phase de mise en oeuvre de la prévoyance professionnelle. Cette période de démarrage est arrivée à un moment où les taux nominaux sans risque étaient suffisamment élevés et les marchés financiers prospéraient. A l’époque déjà, il y avait des redistributions, mais elles étaient masquées par le bon rendement du capital et l’absence de transparence du système. Or d’autres règles du jeu s’imposent pour maintenir un système de 2e pilier durable couvert par le capital.
Où s’agit-il de corriger?
L’ensemble du système doit être simplifié. Il y a trop de prescriptions réglementaires, auxquelles s’ajoutent des contraintes étrangères aux marchés des capitaux. Elles sont certes peu à peu réduites, mais elles n’ont pas encore disparu. Par ailleurs, il faut davantage de souplesse dans la configuration de la politique d’investissements. Dans une phase de démarrage, un système rigide a certes du sens. Mais, à l’avenir, une caisse de pension devrait fonctionner comme un prestataire financier moderne doté d’une compétence de conseil élevée.
Cela suppose que le 2e pilier soit dissocié du système administratif des assurances sociales.
Dans le 2e pilier, le marché des capitaux contribue toujours moins à fournir les prestations. Dans le contexte durable des taux bas, ne devrait-on pas dès lors renforcer l’AVS édifiée sur un système de répartition?
Il est évident que dans un contexte de taux nuls ou négatifs, il n’est pas possible d’assurer de futures rentes par des placements sur les marchés des capitaux. Le principal marché des capitaux n’est plus aujourd’hui celui des obligations, mais bien celui des investissements à risque. De sorte que le «troisième contributeur» nous finance par le biais des primes de risque. Avec des taux zéro, aucune garantie de revenu ne peut être réalisée pendant des décennies malgré une croissance du salaire. Si l’on entend garantir les prestations, sur le plan économique cela se fait le plus efficacement par une démarche de répartition, et alors ces prestations devront être limitées au minimum vital fixé par la politique sociale. Si l’AVS actuelle ne suffisait pas, il faudrait financer cette institution de prévoyance par une TVA accrue et des pour cent de salaire supplémentaires. Ce serait un motif pour supprimer toutes les restrictions dans le 2e pilier.
Que pensez-vous des réflexions sur la fusion de l’AVS avec la partie obligatoire du 2e pilier?
Je ne prendrais pas l’entier de la partie obligatoire. Une partie seulement, celle qui est indispensable au maintien du minimum vital. L’erreur de construction du système actuel réside dans le mélange d’un système d’assurance sociale avec un modèle de formation de capital.
Les réallocations de politique sociale ne doivent-elles pas être obtenues avant tout par un édifice de prévoyance basé sur la répartition?
Si. Non seulement c’est économiquement efficace, mais c’est aussi approprié d’un point de vue réglementaire.
« Dans un contexte de taux nuls ou négatifs, il est impossible d’assurer les rentes futures par des placements sur les marchés des capitaux »
La moitié des avoirs du 2e pilier se retrouvent désormais dans des fondations collectives, et le nombre de caisses de pension autonomes ne cesse de diminuer. On dirait que bien des employeurs n’éprouvent plus guère d’intérêt pour la prévoyance professionnelle. Où s’arrêtera ce processus de consolidation?
Depuis les années 1970, l’image des caisses de pension a fondamentalement changé. A l’époque, on improvisait. Après l’entrée en vigueur de la LPP obligatoire, quelque 30% des investissements des caisses de pension étaient issus de prêts à l’employeur. Ou alors des biens-fonds étaient loués au personnel à des conditions non conformes au marché. Aujourd’hui, on s’attend à ce que les institutions de prévoyance soulagent leurs membres d’une partie de la planification financière. La caisse de pension doit être considérée comme un prestataire financier moderne qui propose à ses membres une palette de plans de prévoyance compétitifs. De ce point de vue, un processus de consolidation supplémentaire n’est pas à exclure.
On constate dans le 2e pilier une redistribution croissante entre les actifs et les rentiers. Comment y mettre fin?
Avant toute chose, la redistribution fait partie de tout système de prévoyance. Mais, en Suisse, cette redistribution est particulièrement marquée à cause de directives non conformes au marché des capitaux et surtout peu claires. Nombre d’institutions de prévoyance recourent toujours pour les retraités à un taux d’intérêt technique plus haut que pour les actifs, pour qui la limite supérieure se situe actuellement autour de 1,7%. Vu que ce taux est encore nettement au-dessus d’un taux dénué de risque, les actifs actuels vivent déjà aux frais d’une génération qui n’est éventuellement pas encore dans la vie professionnelle! A quoi s’ajoutent des effets de redistribution entre les sexes. Une étude montre que cette redistribution est moins accentuée chez les femmes que chez les hommes car elles sont plus rarement assurées dans la partie surobligatoire de la prévoyance professionnelle. En supprimant des prescriptions de taux étrangères au marché des capitaux, de telles redistributions peuvent être éliminées. Il y a entre les parties surobligatoire et obligatoire du 2e pilier de substantiels effets de redistribution qui vont des mieux salariés vers les moins salariés. Bien que le taux de conversion dans l’obligatoire demeure fixé à 6,8%, les caisses de pension enveloppantes travaillent d’ores et déjà avec un taux de conversion autour de 5%. On peut en déduire à quel point le taux de conversion est bas dans le surobligatoire. Pour les profanes, de tels calculs sont bien sûr très peu transparents. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles le système de prévoyance suisse recule dans les classements internationaux.
Un système de signalisation permettant des comparaisons sur l’état de santé d’une caisse de pension créerait-il un surcroît de transparence?
Oui, parce qu’ainsi l’assuré pourrait juger de la santé de son institution de prévoyance. Ce serait plus révélateur qu’une comparaison de tout le système suisse de prévoyance avec des modèles étrangers.
En Europe continentale, il n’y a que peu de pays qui, comme la Suisse, connaissent une part aussi grande que notre 2e pilier à l’ensemble de la prévoyance vieillesse.
C’est un aspect important. Bien des classements ne considèrent que les promesses de prestations des systèmes. L’Italie, l’Espagne et l’Allemagne sont largement en tête. Mais lorsqu’il est question du financement, c’est l’Etat qui entretient ces édifices sociaux à l’aide des impôts. Seuls les Pays-Bas, les Etats-Unis et la Suisse disposent d’une prévoyance vieillesse reposant sur une base aussi large. C’est pourquoi ces comparaisons internationales sont peu pertinentes si elles ne tiennent pas compte de l’aspect financement.
De quelle manière faudrait-il libéraliser la prévoyance professionnelle en Suisse?
Il faut créer plus d’opportunités de choix pour les assurés. Je ne suis pas opposé à un système patronal, car ainsi l’employeur contribue à soutenir la prévoyance et renforce son attractivité sur le marché du travail par des plans de prévoyance individuels taillés sur mesure. Cela suppose pour les assurés un conseil actualisé qui tient compte de la situation familiale et de l’inclination personnelle au risque. Ce genre d’offre, on le rencontre encore rarement dans ce pays.
Alors les plans 1e destinés aux cadres et aux spécialistes seraient un modèle?
Oui, leur angle d’approche correspond exactement. Même si les plans 1e ont évidemment été introduits pour d’autres raisons, notamment pour alléger les bilans des entreprises.
Le taux d’intérêt minimum est fixé annuellement par le Conseil fédéral. Quelle formule faudrait-il appliquer si on s’orientait d’après le marché?
L’unité de référence pourrait être le taux d’une obligation Confédération longue durée en francs, par exemple à 10 ans.
A l’aide de quelle stratégie une caisse de pension peut-elle, dans un contexte de taux bas, obtenir un rendement approprié?
Un rendement suffisant exige des investissements porteurs de risque en actions, en obligations d’entreprises, en métaux précieux ou en placements immobiliers directs ou indirects. Ce qui est décisif, c’est que la capacité de rendement du portefeuille détermine les prestations futures et que des objectifs de prestations irréalistes ne dictent pas la stratégie de placements. Au bout du compte, c’est l’aptitude au risque de la caisse qui décide de la configuration concrète de la stratégie.
Faut-il de nouvelles incitations pour promouvoir l’épargne dans le 3e pilier?C’est souhaitable. Nous travaillons ces temps à une étude sur le pilier 3a à l’aide des données fiscales venues des cantons. Les possibilités ne sont de loin pas épuisées. Il s’agit donc que les gens fassent davantage confiance à ce type d’investissement et qu’il y ait des solutions de placement attrayantes et avantageuses. En la matière, il y a encore du travail de formation à fournir.
Des interventions politiques visent à permettre de racheter davantage dans le pilier 3a.
Cela va dans la bonne direction. Mais une telle offre ne serait à coup sûr utilisée que par les hauts salaires.
En introduisant la prévoyance professionnelle, l’idée était d’assurer avec l’AVS quelque 60% du dernier salaire pour maintenir le niveau de vie après la retraite. Ce sera toujours possible?
Non. Mais peut-être que ce constat est une question de temps et lié au changement de génération. Reste que, par le biais d’une répartition dans le processus budgétaire, il est au moins possible de créer les conditions pour qu’une personne ne tombe pas sous le niveau du minimum vital.