Les craintes d'une récession assombrissent ce début d’année. Les tensions géopolitiques et les guerres gâchent l'ambiance. Les taux d'intérêt plus élevés renchérissent le coût du capital. Le dynamisme de l'économie européenne, en particulier, continue de marquer le pas. L'Allemagne – principal partenaire commercial de la Suisse – connaît un développement particulièrement faible, et même la Chine affiche une croissance nettement inférieure à son potentiel. Certes, la Suisse devrait continuer d’enregistrer une légère croissance et le pays demeure étonnamment stable du fait de l’inflation modérée et du bon moral des consommateurs, l’atmosphère générale n’en est pas pour autant détendue.
L'Auteur : Michele Salvi est économiste en chef de l'Association Suisse d'Assurances ASA.
Croissance solide du secteur de l'assurance
À première vue, les assureurs semblent tirer leur épingle du jeu : le renchérissement global a vraisemblablement contribué à l’accroissement du volume des primes, et la hausse des taux d'intérêt exerce un effet positif sur la rentabilité à moyen terme. D'une manière très générale, en périodes d’incertitude, la sécurité financière revêt une importance particulière et le besoin correspondant stimule la demande de couvertures d’assurance ; ceci, d’autant plus que le moral des consommateurs demeure stable, ce qui leur permet jusqu'à présent de ne pas avoir besoin d’économiser sur ce poste. L'année dernière, les assureurs ont même pu profiter d’une embellie du nombre de souscriptions de contrats d’assurance, notamment portant sur des produits nouvelle génération comme ceux de la cyberassurance. Cette hausse des recettes de primes devrait se poursuivre en 2024 selon les prévisions de BAK-Economics. Après une croissance de 3,3 pour cent en 2023, la valeur ajoutée brute devrait s’apprécier de 3,0 pour cent supplémentaire en 2024.
Les assureurs aussi sont exposés aux risques
Qualifier les assureurs de grands gagnants de la crise serait toutefois un peu rapide. En effet, ils ne sont pas non plus à l'abri des risques conjoncturels : les assureurs ne manqueraient pas d’être directement affectés par de nouvelles turbulences sur les marchés de l'énergie et des actions, par exemple. Au regard du contexte géopolitique, le risque d'un tel scénario est loin d’être négligeable. Par ailleurs, un regain inflationniste n’affaiblirait pas seulement l'économie mondiale, mais toucherait les assureurs de plein fouet : une nouvelle hausse significative des coûts des sinistres pèserait sur la rentabilité des assurances.
En outre, la charge administrative des assureurs continuera de s’accroître en raison de la densification de la réglementation. Ainsi, la nouvelle loi sur la surveillance des assurances et l'ordonnance correspondante sont entrées en vigueur le 1er janvier 2024. Même si la loi comporte en principe des améliorations, elle s'accompagne inévitablement d'une multitude de prescriptions nouvelles ou révisées que les assureurs doivent ensuite mettre en œuvre. À cela s'ajoutent les réglementations subséquentes de la FINMA, laquelle ne cesse d'élargir ses compétences par le biais de circulaires. Ces textes aussi s’appliquent directement au secteur de l'assurance. Par exemple dans le cadre de l'extension de leurs activités en rapport avec les risques financiers liés à l'environnement. Ce penchant gouvernemental à la surréglementation finira par entamer la compétitivité et, par ricochet, la croissance du secteur suisse de l'assurance à moyen et long termes. Sans oublier la pénurie persistante de personnel qualifié, source continue de préoccupations pour les assureurs au cours de l'année qui s’annonce.
À la longue, le changement climatique et les catastrophes naturelles mettent également à mal les assureurs. L'année dernière, les dommages assurés provoqués par des événements naturels ont une nouvelle fois atteint des sommes conséquentes. Selon les prévisions de Swiss Re, celles-ci devraient dépasser la barre des 100 milliards de dollars américains à l'échelle mondiale.
L'assurance privée est bien armée
Si les assureurs peuvent toutefois envisager la nouvelle année avec optimisme, c'est moins en raison de la situation économique mondiale que forts d’une administration prévoyante de leurs affaires. En effet, d’une part, l'assurance compte au nombre des secteurs économiques les plus performants de Suisse. Ce n'est d’ailleurs pas un hasard puisque son cœur de métier consiste dans la gestion des risques, ce qu'elle maîtrise parfaitement. D'autre part, les compagnies d’assurances investissent non seulement dans la formation initiale et continue de leurs collaboratrices et collaborateurs, mais aussi de manière ciblée dans les innovations technologiques. La confirmation du niveau très élevé de leur taux de solvabilité atteste de la solidité du secteur suisse de l’assurance et de sa capacité à maintenir sa stabilité en 2024, ceci en dépit d’un contexte difficile.