Les caisses de pension doivent se pencher plus résolument sur les directives des Nations Unies et sur l’Accord de Paris sur le climat. Aujourd’hui déjà il s’agit de se préparer à de possibles nouvelles directives à la suite de la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 26) début novembre à Glasgow. C’est avant tout l’Union européenne qui dictera la cadence, puisque les institutions de prévoyance y communiquent depuis deux ans déjà comment elles intègrent les facteurs ESG (Environmental, Social, Governance).
Malgré le non du peuple à la loi sur le CO2 en juin dernier, la Suisse ne saurait se soustraire à cette tendance. En déterminant leur stratégie climatique, les caisses de pensions doivent tenir compte des souhaits des assurés. Des institutions de prévoyance proches de l’Etat telles que Publica, celles de La Poste, de Swisscom et des CFF se sont empressées de lancer l’Association suisse pour des investissements responsables (ASIR) qui englobe une fortune investie de plus de 200 milliards de francs depuis que d’autres caisses importantes s’y sont jointes. L’association identifie les entreprises problématiques du point de vue ESG et entame un dialogue avec elles. Si elles persistent à enfreindre les lois suisses ou des conventions internationales ratifiées, les entreprises fautives se retrouvent sur une liste d’exclusion.
Nécessité de rattrapage dans le processus d’investissement
Cela dit, l’empreinte CO2 n’est de loin pas le sujet prioritaire au sein de toutes les institutions de prévoyance. A en croire la récente étude de Swisscanto sur les caisses de pensions, seul un quart des caisses interrogées dispose d’un règlement d’investissement tenant compte des critères ESG et 10% supplémentaires entendent en introduire un dans les trois ans. Pour un quart, la démarche est l’objet d’un débat, le reste ne se préoccupe encore guère du sujet.
Pour Iwan Deplazes, responsable Asset Management chez Swisscanto Invest, l’investissement durable devient une troisième dimension essentielle avec le rendement et le risque : « Les risques climatiques sont des risques d’investissement, car les entreprises aux modèles d’affaires lourds en CO2 risquent des pertes de valeur. Une autre étude, de l’Alliance climatique suisse qui rassemble des organisations environnementales, est parvenue l’automne dernier à une conclusion désenchantée : plus de la moitié du capital de prévoyance analysé était géré par des caisses de pension qui ne tiennent aucun compte des risques climatiques dans leur démarche de placement. La caisse de pension Migros est signalée comme exemple positif, ce que son patron Christoph Ryter commente comme suit : « Nous sommes certes plus avancés que d’autres caisses, mais elles sont désormais nombreuses à se préoccuper des risques climatiques. »
Il manque des standards uniformes
Même si les méthodes de mesure s’améliorent sans cesse en matière de risques environnementaux et sociaux, il manque toujours pour les facteurs ESC un système d’évaluation standardisé. Les indicateurs financiers sont cités en exemple, alors que les règles de tenue des comptes de l’International Financial Reporting Standard (IFRS) assurent depuis des décennies de la transparence et de la comparabilité. En matière de critères ESG, la communication n’en est pas encore là, mais il existe déjà des approches prometteuses. Outre l’UE, les Nations Unies ont élaboré les Principles for Responsible Investments (PRI) qui visent aussi les déclarations obligatoires des entreprises.
Mais les définitions uniformes demeurent compliquées. La standardisation la plus avancée concerne le domaine de l’environnement. En revanche, les systèmes de notation peinent à suivre dans les catégories « social » et « gouvernance d’entreprise ». A ce jour, les approches naguère passives (screening positif et négatif) ont été complétées par des stratégies actives (Engagement et Shareholder Activism) et l’approche Best-in-Class. Mais en dépit des nouveaux outils, les stratégies d’investissement fondées sur des critères d’exclusion demeurent les plus répandues. Les entreprises aux activités controversées du genre production d’armes, de tabac, de jeux de hasard ou d’énergie nucléaire sont évitées.
Pas de pertes de rendement
Plusieurs études établissent que, par rapport aux investissements traditionnels, il n’existe pas de différences systématiques dans le rendement quand on intègre les critères ESG. Le MSCI World Socially Responsible Index durable s’est développé sur une période de dix ans d’une manière pratiquement identique à son homologue classique MSCI World.
De l’avis de Veronika Weisser, responsable Retirement & Pension chez UBS (Suisse), les investissements durables n’affectent pas les rendements à long terme : « Comme pour les portefeuilles non durables, la condition est que la composition du portefeuille se déroule selon les règles d’optimisation de rigueur. » Pour José Antonio Blanco, Head Investment Management Third Party Asset Management chez Swiss Life, investir dans des entreprises tournées vers l’avenir n’implique pas de renoncer au rendement. Ce serait plutôt le contraire : « Nous sommes persuadés qu’intégrer systématiquement des critères de durabilité dans la démarche d’investissement constitue un facteur de succès essentiel pour créer de la valeur sur le long terme. »