Nous ignorons quel âge nous atteindrons mais serions heureux, conformément à la devise «teenager jusqu’à la retraite», de garder aussi longtemps que possible toutes les options ouvertes. Nous nous offrons aujourd’hui déjà un train de vie auquel nous ne pourrons prétendre qu’avec le salaire de demain. Si la planification financière se résumait simplement naguère à un bilan personnel susceptible d’alléger le budget et à faire la lumière sur le fouillis des finances, dans la «génération sandwich» d’aujourd’hui – celle qui se situe entre ses parents et ses propres enfants – d’autres sujets figurent à l’agenda: optimiser son projet de vie, détecter des risques inconnus, assurer une sécurité maximale à moindre prix, tirer parti de moins d’impôts et de plus de revenu net. Le tout à l’aide d’un plan concis promettant d’atteindre l’objectif. Si possible tout de suite, aisément et en plus sans frais.
Il va de soi qu’il est compliqué de satisfaire à de tels critères, y compris dans le private banking où se réfugient la moitié des avoirs des clients et les deux tiers de la génération des 50 ans et plus. Cette clientèle exigeante appelle de ses voeux un conseil exhaustif axé sur ses besoins et comportant des solutions individuelles. Les défis se situent par exemple dans une planification des liquidités épousant les phases de la vie et dans une structuration souple de la fortune pour la troisième tranche de vie, réalisant le grand écart entre consommation, rendement, aide aux proches âgés et planification de la succession. Le modèle d’affaires «capital plutôt que rente» avec suggestions de placements maison s’est avéré rentable pour les «banques conseilleuses». Quant à savoir si c’est la meilleure solution pour le client, il est légitime d’en douter et ce ne peut être évalué que par un examen indépendant.
- Reto Spring est un expert diplômé en planification financière, président de l’Association suisse des planificateurs financiers et associé chez Academix Consult. Son ouvrage «Orientierung statt Moneypulierung» paraîtra en janvier 2022.
S’il reste de la vie à la fin de l’argent
«Les liquidités, c’est comme l’air qu’on respire: on remarque quand on en manque.» Suivant les engagements pris et les responsabilités envers d’autres personnes, on parle ici d’une réserve de cash de trois à six mois de salaire: rien n’est plus rassurant qu’un compte bien garni! Ceux qui stockent beaucoup de cash sont toutefois mis au défi des taux d’intérêt négatifs et des propositions d’investissements de diligents conseillers.
Plus de 95% des conseillers financiers sont toujours de purs marchands de produits, mais leur modèle d’affaires prend l’eau. D’autant plus que robots conseillers et blogueurs financiers sont toujours plus nombreux à nous assurer qu’on se débrouille mieux sans banques ni assurances, en livrant ses données et en se faisant conseiller en ligne. Dans ce contexte, il n’y a ni solutions simples ni recettes toutes faites. Il existe certes des solutions numériques pour les questions circonscrites et les concepts standard. Mais plus la configuration se complique, plus il convient de solliciter la science des experts. Si on en a les moyens et que l’on attache de l’importance à une planification financière individualisée, on s’offre un conseil indépendant dont le bénéfice réside dans un concept interconnecté, structuré et attentif au risque et dont les recommandations ne sont pas entachées de conflits d’intérêts. Un «conseil gratuit» peut coûter cher et il s’avère en général irréversible une fois la décision prise pour la planification de la retraite. Aussi l’argent est-il utilement investi quand on demande un conseil payant ou un deuxième avis indépendant.
Le robo-advisor ne représente pas une menace pour la confrérie des conseillers. Il est un outil complémentaire dans le dialogue avec les clients. Les algorithmes sont supérieurs à l’homme dès qu’il est question d’opérations répétitives sur des données ou de calculs compliqués: ils y répondent pour quatre sous et sans émotion. En revanche, l’humain a des atouts quand il faut avoir une vue d’ensemble: priorités, horizon de temps, coûts et risques. Et quand il s’agit de communiquer en têteà-tête avec le client en recourant à l’empathie, à l’expérience, au sentiment. Ce sont ces soft skills qui font la différence: au-delà des connaissances et de la capacité d’analyse, il faut la faculté de s’identifier, une communication et une technique de présentation ciblées sur le client. Et finalement suite, le sens du service et une grande capacité d’écoute. Autrement dit, pour un conseil réussi, il faut à la fois l’homme et la machine.
Orienter plutôt que manipuler
De nos jours, la vie ressemble à un voyage de 90 ans, étant entendu qu’entre formation et retraite, la moitié est improductive. Aux alentours de 45 ans, nous nous trouvons simultanément à mi-chemin et au creux de notre vie: lessivés par les exigences (formation continue, vie de couple, fondation d’une famille, construction d’un logis, situation indépendante) et souvent confrontés à une rupture brutale dans notre biographie financière (perte de la personnalité, de l’esprit de d’emploi, burn-out, divorce). Il n’y a pas de moment plus adéquat pour une réflexion sur les priorités et les objectifs de la seconde moitié de la vie. Un planificateur financier peut être à la fois un sparring-partner et un coach: il pose les questions critiques, dévoile les risques et communique avec des mots intelligibles les connaissances de base nécessaires pour que le client puisse prendre des décisions financières à la fois sensées et avantageuses. Pour lui, pas pour le conseiller!
La vie nous enseigne qu’il n’existe pas de sécurité, uniquement divers degrés d’insécurité.
Une planification financière complète est une planification de la vie. La vie nous enseigne qu’il n’existe pas de sécurité, mais uniquement divers degrés d’insécurité. Seuls les changements sont constants. Or la planification financière doit tenir compte de ces changements constants, se montrer dynamique et souple, réfléchir sous forme de scénarios, de variantes, d’alternatives pour viser la prospérité à long terme. A l’instar d’un phare, le planificateur financier fournit une orientation fiable, signale les dangers et confère la sécurité indispensable pour atteindre l’objectif.
Concrétiser plutôt que faire la sieste vingt-cinq ans
Notre modèle d’assurances sociales date de la dernière ère glaciaire, notre modèle de prévoyance du Moyen Age. Mais dans un monde du travail numérique, nous sommes confrontés au XXIe siècle. Cet écart grandissant entre réalité sociétale et systèmes hérités (droit du mariage et des successions, système d’assurances sociales et système fiscal) constitue un gros défi pour la planification financière. Le souci croît autour de la prévoyance, la peur de perdre du bien-être entre le sommet de la carrière et la retraite se répand. Après tout, nous nous sentons tous au moins 10 ans plus jeunes que notre âge biologique… Aujourd’hui déjà, une personne sur trois travaille audelà de l’âge légal. Par plaisir ou par passion, rarement pour l’argent. Les frontières entre période active et retraite s’estompent donc de plus en plus. Entre 60 et 70 ans, «souplesse» est devenu le mot clé.
L’argent n’est pas tout, mais sans argent tout n’est rien. L’argent équivaut à un aliment, il est donc indispensable. Souvent, les conseillers ne demandent même pas ce que l’argent signifie pour leur client parce qu’ils croient connaître la réponse: liberté, indépendance, sécurité. Au lieu de ne réfléchir qu’en termes de produit, il faudrait qu’une planification financière complète, à 360 degrés, soit une prestation en tant que telle qui approche mieux la personne et stimule la compétence en matière d’argent: agir finement avec l’argent, bâtir souverainement un avoir et accéder en toute autonomie à la liberté financière. L’argent, ça détend quand on veut jouir du panorama d’une vie accomplie.